Tempête de 1879
Au cours de l’après-midi du 20 Février 1879, une violente tempête s’abattait sur le Charolais-Brionnais (voir Écho du Passé N°84). A cette époque, les nouvelles circulaient avec lenteur: pas de radio, pas de téléphone. Seul un début de réseau télégraphique reliant les villes à la capitale alimentait une presse restreinte. Restait les passagers des liaisons hippomobiles et depuis peu ferroviaires, colportant en retard les nouvelles d’une région à 1’autre.
C’est donc au cours de la semaine suivante que l’on eut connaissance des dégâts localité après localité. La zone sinistrée ne cessait de grandir: à l’évidence, le phénomène avait sévi sur plusieurs régions de France, et même franchi les frontières.
TRAJECTOIRE DE L’OURAGAN: L’axe des vents violents pouvait assez bien se délimiter par deux courbes parallèles, coupant notre pays d’Ouest en Est comme une saignée.
La limite nord passait par Nantes, Poitiers, Moulins, Chalon/Saône, Besançon. L’emprise sud se limitait à Royan, Périgueux, Issoire, Saint-Etienne, Grenoble, Annecy et la frontière Suisse. Large d’environ 150 Kms, ce couloir, comme toujours en pareilles circonstances, se situait au sud de la trajectoire d’une dépression secondaire se creusant sur la Bretagne. Ce 20 Février, Chalon/Saône semble avoir enregistré un record de basse pression pour la région, avec 981 hPa au niveau de la mer .
Les vents de secteur sud se sont considérablement renforcés dans les vallées du Massif Central de même orientation.
A noter le brutal refroidissement, avec d’abondantes chutes de neige, à l’arrière, aussitôt le cœur de la dépression passé.
LES INONDATIONS EN FRANCE AVANT CETTE DATE:
Les versants atlantiques ayant été copieusement arrosés tout au long des mois de Janvier2 et Février, les bassins de l’Adour, de la Garonne, de la Loire et de la Seine, connaissaient une crue importante avant l’arrivée de la perturbation liée à la tempête. Celle-ci apporta une nouvelle lame d’eau conséquente avec l’air chaud instable remontant d’Espagne à l’avant. Et comme les puissants vents d’ouest associés, ont contrarié l’écoulement vers les estuaires, Bordeaux connut dans les jours qui suivirent, une crue catastrophique rappelant celle de 1875. La ville en limite sud de la zone dévastée, dut évacuer des centaines d’habitants, distribuer soupes populaires et autres secours tenant plus de charité que de véritable assistance. Plus aucun train n’entrait en gare St Charles et les communications furent longtemps interrompues avec l’Espagne. Glissements de terrain, maisons englouties, les rives de la Garonne vécurent ces drames, de l’embouchure de la Gironde à Toulouse.
DETAILS REGION PAR RÉGION :
A la lumière des nombreuses coupures de presse relatant les événements, et sans perdre de vue qu’une des premières conséquences fut l’isolement télégraphique des localités, parfois du pays tout entier, un “état des lieux” peut être reconstitué. Il serait fastidieux de revenir sans cesse sur ce que l’on est bien
obligé d’appeler les dégâts mineurs (toitures, vitres, cheminées, murs effondrés, arbres déracinés…), même si la verve journalistique de l’époque pour le sensationnel enfla parfois le désastre. Tout au long des récits, une atmosphère de désolation, une vision de guerre, se dégage. Partout à ce climat vient s’ajouter la misère sous-jacente des campagnes. Les blessés, les morts, sont ressentis comme une fatalité et non comme de nos jours un drame. Ils ne font pas même les titres des journaux… Pas une seule photo n’y figure: on ne savait pas encore les diffuser par voie de presse.(Document N°2)
SUR LES COTES ATLANTIQUES ET L’OUEST:
La tempête, présente dès l’aurore, empêcha ainsi fort heureusement, de nombreux pêcheurs côtiers de prendre la mer et d’allonger la liste des victimes.
Le Courrier de La Rochelle résume assez bien le déroulement des événements: “le mauvais temps signalé des États Unis a repris. Jeudi un véritable cyclone se déchaîna sur notre ville. A 8H du matin, le baromètre marquait 747mm. Un fait rare s’est produit: l’océan a éprouvé des oscillations qui ont fait varier brusquement son niveau de près de 60cm et qui se sont répétées même après l’heure de la pleine mer.” Et s’en suit la liste des avaries survenues aux bateaux: une goélette jetée à la côte de St Martin de Ré, une autre échouée près du phare des Baleines, le trois mâts Suez éperonné dans le port de Rochefort. Blaye sur l’estuaire de la Gironde vit le bateau-ponton couler, la gabare de l’île Verte démâter, une embarcation sombrer près du fort Pâté, une yole montée par deux hommes de l’usine à pétrole se retourner, l’équipage étant à jamais porté disparu.
Dans l’intérieur des terres, ce ne sont que toits et arbres renversés par centaines, chemins coupés, rues jonchées de débris…
Le Périgord avec ses noyers séculaires courba 1’échine sous le souffle, mais limita les dégâts.
Sur toute la Vendée et les Charentes, les édifices publics affrontèrent les bourrasques non sans dommages: clochers abattus, verrières des toutes nouvelles gares brisées, croix des cimetières renversées. Des gabares assurant le transport des marchandises par voie d’eau sombrèrent. Un chaufournier déséquilibré par le vent se retrouva écrasé par sa voiture chargée de pierres. Les blessés par projectiles seront nombreux et sans doute beaucoup décéderont dans les semaines suivantes, d’autres restant invalides à jamais.
Le bulletin agricole et météorologique de Melle, localité des Deux-Sèvres, signale que le baromètre est descendu à 727mm, la tempête ayant duré de 9h du matin à 5h du soir. Depuis le début du mois on a relevé sur ce site, des précipitations avoisinant les 150mm.
La ville d’Angoulême particulièrement éprouvée par la perte de 7 ouvriers suite à la récente explosion de la poudrerie, ne sera point épargnée. Des murs ébranlés par les déflagrations, s’écrouleront sous la poussée du vent tandis qu’à la mairie, le magnifique plafond de la salle des mariages s’est effondré. La voiture du courrier de Nontron fut renversée et ses passagers blessés. Au théâtre des variétés, l’ancien Alcazard, trois cheminées se sont écrasées sur la scène entraînant sous les gravats cinq comédiens et les blessant très sérieusement. Quelques semaines plus tard l’éditorialiste du “Charentais” comptabilisera dans la ville 288 cheminées à terre, 48 toitures entièrement arrachées et 287 arbres déracinés.
Etrange rubrique dans les colonnes de certaines gazettes où l’on vit paraître la liste des tombes à réparer au plus vite: on avait d’autres préoccupationsÍ Et partout revient ce qualificatif: “de mémoire d’hommes on n’avait vu celai”.
Poitiers évita le pire en bordure nord de la zone, mais d’Àngoulême à Limoges le vent s’acharna… Dans cette dernière ville, c’est entre deux et trois heures de l’après-midi que le paroxysme fut atteint: kiosques renversés, une trentaine d’arbres abattus place d’Orsay, idem pour les sycomores de la Préfecture, paratonnerre du clocher St Michel à terre, cadran de l’église St Pierre emporté. Dans la campagne environnante, à Ludéac le-clocher de l’église est éventré, à Eymoutiers ce sont deux maisons qui se sont écroulées, à St Just un homme fut tué et un autre eut les jambes broyées. À Aix un toît s’est effondré sur trois enfants: pas de blessé heureusement. A Verneuil les 2/3 des arbres fruitiers sont arrachés, les cerisiers ayant mieux résistés. A Châlus, des châtaigneraies entières sont détruites. Evidemment beaucoup de foires importantes à l’approche de Mardi-Gras n’ont pu se tenir;
En poursuivant nos investigations plus à l’Est, le même constat s’impose: énormes dégâts dans les agglomérations, forêts dévastées dans les campagnes,tout en sachant bien que la presse parle davantage des châteaux aux toitures malmenées, que des demeures des villageois, aux toits de chaume emportés comme fétu de paille.
Guéret voit une partie de la toiture en zinc de sa gare de marchandises enlevée. Celle du lycée, en tuiles de Montchanin précise-t-on, n’a pas résisté non plus. A Laveix les Mines la couverture de la nouvelle verrerie s’est effondrée et un fourneau allumé a mis le feu aux décombres. La halle de l’ancienne usine est complètement détruite, de même que la grande cheminée des puits Robert.
Le Courrier de la Creuse publie la lettre d’un voyageur ayant fait ce jour-là le trajet Guéret-Montluçon en chemin de fer. “Un bombardement semble avoir atteint la région. Le phénomène à duré de trois à quatre heures, sans aucun répit”.
Rien à voir avec une ligne orageuse, mais plus avec le passage d’un cyclone. D’ailleurs l’Echo de l’Indre se risque avec beaucoup d’à-propos, à une explication scientifique: “Nous nous rappellerons longtemps de 1’ouragan de jeudi dernier. Le Pic du Midi, l’observatoire du Puy de Dôme l’avaient annoncé. Nous aurions dû nous y attendre.” Suit un exposé sur la nette différenciation des masses d’air en présence, comparable à l’huile et l’eau où le plus dense se rue sur le plus léger et le bouscule.
Par ces temps de calamités on ne manque pas de faire valoir ses convictions. L’Union Républicaine du Cher n’hésite pas à publier les lignes suivantes:
“Notre département du Cher ne paraît pas avoir été atteint par la tempête comme d’autres. Certes, nos prélats ne voient dans ces faits que les signes de la colère divine s ‘appesantissant sur nous. Nous comprendrions aisément que les désastres eussent atteint les nations hérétiques mais pourquoi les fidèles pays catholiques, apostholiques et romains?” Et de conclure :”Notre devoir, je veux dire celui de la science est encore d’étudier attentivement les phénomènes de la nature et de mettre 1 ‘homme de plus en plus à 1 ‘abri des tourmentes physiques, en attendant de porter secours aux innoncentes victimes des fléaux.” Il poursuit dans la même page par ce titre: “Grand remède episcopal contre les inondations”. Là aussi le rédacteur s’élève contre la lettre pastorale de I’évêque de Montauban pensant que nous méritons ces châtiments corporels et conseillant prières et processions.
De quoi faire méditer la pauvre vieille dame de Culan tombée dans le flot de boue dévalant la rue et ne devant son salut qu’à deux gendarmes en tournée.
DANS LE PUY DE DOME:
Poursuivant sa course à travers le Massif Central, l’ouragan l’a sévèrement atteint dans sa partie nord. Si le Cantal connut peu de dommages, la baisse des températures consécutives à la rotation des vents au nord entraîna l’apparition jusqu’à très basses altitudes de la neige, fin Février oblige. C’est ainsi que la voiture à cheval faisant le service Murat-Mauriac dut rebrousser chemin devant l’offensive hivernale.
Clermont, vers 17H ce Jeudi est au coeur de la bourrasque. “Dans les rues, la circulation devenait impossible. Les personnes les plus solides étaient renversées, les chevaux ne pouvaient avancer et sur la montée de Jaude un fiacre fut renversé. A 18H le haut de la ville présentait un aspect saisissant. Les rues étaient plongées dans l’obscurité car il avait été impossible d’allumer le gaz, les magasins avaient mis leurs volets et rares étaient les personnes qui longeaient les murs pour éviter les projectiles.”
Beaucoup de bris de matériel seront à déplorer: becs de gaz tordus, échafaudages de la cathédrale endommagés, sans parler des arbres, vitrines ,toitures, cheminées; mais aussi des accidents corporels entre autres trois facteurs avec des membres brisés et à Bussières un cultivateur tué par la chute d’un portail.
La cité préfectorale ne fût pas la seule endommagée, le Palais de justice et la Sainte Chapelle de Riom dont une aiguille en pierre de Volvic a troué le plafond du grand escalier, devront être réparés. Toujours dans cette ville, rue du commerce la chute d’une cheminée a entraîné en cascade l’effondrement des étages de la maison jusqu’aux voûtes de la cave!
Le trafic ferroviaire fut retardé, voir arrêté. Les liaisons à cheval ne purent pas mieux être assurées: la voiture de Pontgibaug déposa ses voyageurs à La Fontaine du Berger où ils passèrent la nuit. Les “laitières”3 qui approvisionnaient Clermont n’ont pas assuré leurs livraisons: il y eut, ce soir-là, beaucoup de “Perrettes”….
Anecdote particulière à Lapeyrouse où une femme seule voyant le toit de son logis se soulever s’y attacha avec une corde. Rien n’y fit, elle se retrouva emportée dans les airs à plus de 20m de là, avec à l’atterrissage seulement deux côtes cassées S
En consultant les archives de l’Observatoire du Puy de Dôme, on peut se rendre compte des effroyables conditions régniant sur le sommet. Son journal météorologique de Février consigne pour la journée du 20:”vent très fort d’Ouest depuis le matin, ouragan terrible de Sud de 14 à 21H, éclairs sans tonnerre de 13 à 15H, brouillard toute la journée et un peu de neige. Le 21 tempête d’Ouest, brouillard et neige toute la journée” (voir photo hivernale de l’observatoire).
DANS LE DEPARTEMENT DE L’ALLIER:
Atteint de plein fouet, la lecture du Courrier de l’Allier devient une litanie dont voici un aperçu:
“A Cindré notre église quoique neuve a été très éprouvée, beaucoup de tuiles sont enlevées, une rosace est détruite. Les deux écoles nouvellement construites ont souffert, il n’y a pas une seule maison qui ait été épargnée, les toîts de chaume ont disparu et vers les 21H la neige se mit à tomber. A Sorbier un homme a été tué. L’église de St Léon ainsi que celle du Donjon, Jaligny où le parc de Mr De Barrai ressemble à un chantier de bûcherons, ces localités sont touchées. A Vaumas, dans un domaine on signale 40 noyers arrachés. A La Palisse une grange s’effondre et tue 3 hommes et 28 vaches. Les magnifiques hêtres de la futaie des Colettes sont arrachés. Partout les matériaux, les maçons, les charpentiers et les couvreurs manquent.
Varrennes/Allier voit les toitures de la gare de marchandises et de la gendarmerie s’envoler. A Lenax, un feu de cheminée embrase une maison. A Lafeline, une grange à moutons s’effondre sur le bétail et deux jeunes filles: l’une d’elles ne pourra être sauvée.
Dans le bassin industriel de Montluçon, la haute cheminée de Marignon s’est renversée, l’abattoir décoiffé. La cité de Commentry est orpheline des cheminées de ses houillères, celles de la fabrique de boulon Perrot ont subi le même sort.
Sur les hauteurs des contreforts de la Madeleine, ce sont les forêts cette fois comme au Mayet de Montagne où les chemins sont tellement encombrés de leur chute qu’il est impossible de circuler.
Les toitures de Moulins (la prison, l’église du Sacré Coeur), sont béantes. Un bateau-lavoir sur l’Allier a sombré. Sur la voie de chemin de fer, entre Moulins et le grand centre de St Germain des Fossés, quantité de poteaux sont coupés.
La flèche du clocher St Etienne de la ville de Gannat est détruite”.
Les observations météorologiques de l’Ecole Normale de Moulins ont quelques jours de lacunes, la bourrasque ayant renversé guérite et instruments de mesure. Les derniers relevés du 20 Février donnent les valeurs suivantes: maxi +9° mini +4° hauteur barométrique à 15h réduite au niveau mer 992 Kp.
Un accident de chemin de fer des plus spectaculaire s’est produit sur la ligne Gannat-Montluçon. Au moment où un train traversait un viaduc métallique sur la Sioule haut de 67m, vers St Bonnet/Ebreuil, le vent prit en echarpe un wagon chargé de paille et le précipita avec quatre autres, dans la rivière.Les chaînes les reliant au reste du convoi ont fort heureusement cassé, empêchant la totalité de basculer. Un conducteur et un graisseur se trouvaient dans ces wagons, leur mort est à déplorer. Si on observe la pile du viaduc le plus à l’Ouest on constate les traces de la chute du wagon sur le socle de pierre. (JP Sigaud)
Le viaduc dans la vallée de la Sioule
Autre perte mémorable: celle des platanes de Cusset. Cette ville possédait Cours Arloing (auparavant dénommé cours de la République), sur les anciens fossés, une magnifique promenade plantée en 1811. Le vent les a presque tous renversés pêle-mêle sur les maisons, enfonçant toitures et fenêtres. Seule la rangée opposée, protégée par les habitations est restée debout.(Il en subsiste quelques uns de nos jours)
Le journal “La France” écrit à ce sujet: “Aujourd’hui une foule d’ouvriers montés sur le faîte des maisons sont occupés à couper les énormes branches qui couvrent les toitures. Les charpentiers, les couvreurs, réparent le désastre à mesure qu’ils ont un peu de place de libre. Il n’y eut aucun mort à déplorer, mais tous les habitants sont sous la terreur. Les élèves du pensionnat St-Joseph rassemblés dans la chapelle en ont été quitte pour une belle frayeur, les arbres en tombant ont arraché le toit de l ‘édifice. Beaucoup de personnes venues de Vichy contemplent ce triste spectacle. Un village des environs, Le Vernet, tous ses toits emportés. Vichy a peu souffert.”
DANS LE DÉPARTEMENT DE LA LOIRE:
La vallée centrale orientée Sud/Nord a produit ses habituels effets d’accélération. Les localités sinistrées s’y concentrent.
Place des promenades à Roanne, connue elle aussi pour ses magnifiques platanes, 70 gisent à terre. Leur vente aux enchères aura lieu le 3 Mars et d’autres seront replantés. De nombreuses cheminées d’usines n’ont pas résisté, surtout celles de base quadrangulaire offrant plus de prise au vent. C’est le cas dans les établissements Fortier-Beaulieu, Guerry, Duperay,Raffin-Dumarest, aux filatures Chavrondier. Les marquises de la gare ont perdu presque tout leur vitrage. Devant l’ampleur des dégâts, le Conseil Municipal s’est réuni en séance extraordinaire le 21 Février pour décider des mesures de première urgence.
Aux environs, constat identique. A Mably, la cheminée de la tuilerie Cancalon est tombée sur la machine à vapeur. Le courrier venant de St Just a chargé sa calèche de plus de 100 Kg de pierre pour rester sur la route tellement le vent le poussait vers Roanne. A St Germain Lespinasse le Parc de Mr de St Thomas est détruit. La cheminée du moulin de l’abbaye de Montbrison, en se renversant a littéralement coupé en deux les installations.
La ville de St Etienne ne recense aucun dégât important.
DANS LE DÉPARTEMENT DU RHÔNE:
Jusqu’au Sud de Lyon les effets dévastateurs se sont resentis. Les transports furent des plus perturbés.
Vers 18H30, Cours Perrache la chute d’un peuplier tua un jeune homme et un employé conduisant une charrette à bras s’empala dans un fiacre, se blessant grièvement. On dût interrompre le service des vapeurs sur la Saône et ce d’autant plus qu’un incident mortel suite aux grandes eaux s’était produit le Mardi. Un courrier faisant le service de Villefranche à Gandris s’est renversé dans un ravin, les voyageurs se retrouvant éjectés et le cheval écrasé par l’attelage. En gare de Villefranche un wagon isolé, sous les rafales de vent dériva jusqu’en gare de St Georges à 9kms de là. Et comme partout des arbres déracinés obstruent les chaussées: on recense 90 peupliers aux environs de Belleville enchevêtrés en un amas inextricable.
Les contreforts du Beaujolais se trouvèrent particulièrement exposés au souffle de la tempête. L’abbé Duplain, curé de St Julien le relate dans sa notice historique rédigée en 1924: “Sur les deux heures de l’après-midi, le 20 février 1879, s’est élevé un vent de sud-ouest, une espèce de cyclone d’une violence inouïe qui a duré jusqu’à minuit. Il n’est pas de maison qui n’ait eu cheminée ou toit renversé. 28 des plus beaux arbres du parc de Mr De Miramon ont été abattus.Un peu partout dans la région le désastre a pris les proportions de calamité.” Il faut citer encore, les toitures des tours du château des Pierreux emportées, le clocher de la chapelle de la montagne de Brouilly effondré, les forêts de sapins dévastées. Dans d’autres vallées intérieures, comme à Thizy, les cheminées d’usines, (celles de la collerie Marchand où deux ouvriers furent blessés), seront des cibles privilégiées.
Les conseils municipaux d’Ouroux, de Beaujeu, votent la vente des bois renversés, qu’ils appartiennent à la fabrique, à l’hospice, ou plus généralement à la collectivité. L’argent récupéré servira à 1’entretien des chemins vicinaux particulièrement défoncés. A Beaujeu, le remplacement des noyers du lieu dit “la Blanchisserie”, par des platanes pour constituer une promenade publique, sera ainsi réalisé (Document N°4).
SUR LES REGIONS PLUS A L’EST:
Les plaines des Dombes et de la Bresse ne furent pas en reste. Les alignements de peupliers des zones humides, ont visiblement été malmenés. Quatre énormes tilleuls de la place des Quinquonce à Bourg sont à terre, mêlés aux tuiles et briques des cheminées du voisinage. A Pont de Veyle, on cite le cas d’un verger où 500 arbres fruitiers sont déracinés. Dans le camp militaire de La Valbonne, le mess des officiers est saccagé, les magasins à fourrage ont perdu leurs toitures. A Versailleux, un cultivateur qui au plus fort de la tempête tentait d’amarrer sa réserve de paille, a trouvé la mort, frappé violemment à la tête par une poutre qu’il essayait d’arrimer.
Sur les collines du Revermont, de très nombreux villages comme Conzieu, Anglefort, Aranc pansent leurs plaies. La Madone du Pont de Seysel en a perdu son bras gauche, la moitié du clocher de l’église de Savoie est à terre…
Dans les mois qui suivirent, les Eaux et Forêts de l’Inspection de Nantua, publièrent une première approche des dégâts forestiers: 17846 sapins de plus de 60 cm de diamètre sont renversés, soit 27 000m3 de bois sur une superficie de 8000 hectares.
Plus au Sud , la tempête s’est fait sentir jusqu’à Grenoble où des trains venant de Gap n’ont pu parvenir, bloqués par des éboulements et des arbres en travers de la voie.
Sur les hauteurs du Jura, la neige est venue aggraver le sinistre. Sous la violence du vent, des congères énormes coupèrent cette région du reste de la France. Qu’on en juge par ces télégrammes publiés par le journal la Sentinelle du Jura: “Les Rousses 20 Février au soir: tourmente de neige, deux mètres et plus sur la route, cinq en beaucoup d’endroits. Pas de courrier. Déblaiement impossible.
Les Rousses 21 Février llh 45: la tempête continue. Route coupée en plus de 200 points par des neiges de 3 à 4m d’hauteur. On signale des toitures enlevées.”
Des drames de la montagne survinrent dans des conditions impensables de nos jours pour des habitants connaissant parfaitement la contrée. Un jeune homme de 28 ans se rendant de Mignovillard à Censeau ce soir-là, à peine les dernières maisons dépassées, son cheval s’égara dans la tourmente. Le lendemain l’animal était aperçu près d’un hameau mais pas signe de vie de son conducteur demeurant à jamais introuvable.
A Longchaumois, sur trois personnes traversant une forêt au milieu d’une neige épaisse, une seule parvint à destination et donna l’alerte. Le lendemain les deux autres furent retrouvées mortes de froid et d’épuisement.
A Gelin, un traîneau et son attelage s’égarèrent dans les marais. Les cadavres de l’homme et du cheval seront découverts la semaine suivante…
Un vagabond se rendant à Evian ne put franchir les gorges de la Faucille. Il succombera victime du froid et de sa condition précaire.
Sur l’autre versant du Jura, au pays de Gex, Ferney-Voltaire, Collonges, subirent le vent mais une température plus clémente empêcha la neige d’atteindre le sol.
Le Haut Doubs à la rudesse montagnarde insoupçonnée, vit ses voies de communication interrompues de Morteau au Russey, et jusqu’à Maîche. Il fallut des escouades de travailleurs, creusant des tranchées, enlevant arbres et neige, pour rétablir le passage. A Pontarlier vers les 20 Heures, il tombait une pluie en surfusion qui recouvrit tout, puis se transforma en neige.Le chef de gare de la localité était inquiet pour le chasse-neige parti vers 21h, et bloqué entre Frasnes et Boujailles.
Sur les Savoies la fin de journée fut tragique. Tandis qu’à Annecy 120 cheminées étaint détruites, le petit village de Moyes interdit l’entrée de son église, des fissures étant apparues dans les voûtes. Au pont de la Caille, le gardien empêcha toute circulation: le tablier oscillait dangereusement. Dans la plaine recouverte de neige, la toiture de l’entrepôt de tabac de Rumilly amputée d’une bonne partie de ses éléments laissait les archives s’éparpiller au gré du vent. C’est alors que vers 19H30, depuis Chambéry on aperçu une lueur rougeâtre en direction d’Aix. On ne tardait pas à apprendre qu’un gigantesque incendie venait de se déclarer au village de Voglans où 13 maisons étaient la proie des flammes. Une jeune fille prenait des braises au four communal avec une pelle, quand un coup de vent en dispersa quelques unes. Les conséquences en furent terribles pour 27 familles. En quelques heures sous la violence des éléments leurs habitations brûlèrent.
Les cartes d’orage du réseau d’observation météorologique9, révèlent une grande disparité des effets de la tempête selon l’orientation des vallées: l’abbaye de Tamié, la citée de Samoëns, bien protégées, n’enregistrèrent aucun sinistre.
Un habitant de Bellevaux dans le Chablais, signala avoir trouvé avant l’orage une grande quantité de chenilles sur les reliefs enneigés. D’environ 1,5cm de longueur et d’un beau noir velu, il n’avait jamais rencontré cette espèce, d’où l’hypothèse d’un transport en altitude par les grands vents régnant depuis plusieurs jours.
LE LÉMAN DÉCHAÎNE:
Les conséquences les plus catastrophiques de cette tempête se produisirent sur le lac Léman où les eaux prirent l’aspect d’une mer déchaînée. Il était 18 heures lorsque trois petites embarcations de pêche artisanale, se trouvèrent surprises par le fort coup de vent de Sud. Appartenant aux villages de Grande Rive, Petite Rive et Lugrin (côte française), elles ne purent regagner leur port d’attache et poussées par des lames impressionantes, se dirigèrent vers la rive Nord, en territoire Suisse. L’un des bateaux se fracassa sur les rochers près de Vevey, les deux autres sombrèrent avant la côte. Onze pêcheurs disparurent en cette soirée, un seul rescapé après quatre heures de lutte sera sauvé.
Des souscriptions ouvertes tant en France qu’en Suisse vinrent au secours des veuves et des 21 orphelins. Selon les habitudes de l’époque, les journaux soulignèrent le geste charitable et publièrent les sommes versées par telle où telle personnalité (Document N°5). Les villes d’Evian et de Thonon profitèrent des festivités de Carnaval pour quêter. Là encore pas question d’assurances, de déclaration de catastrophe naturelle et autres aides actuelles…
Les vapeurs (toujours en activité actuellement en période estivale) assurant les liaisons voyageurs entre les différents ports du lac (voir photo), plus résistants que les barques certes, ont cependant subi des avaries. Le “Guillaume Tell” n’avait toujours pas donné signe de vie le lendemain: il s’était dérouté dans un abri sûr. Le “Chillon” cassa plusieurs palettes de sa roue à aube et dû rebrousser chemin, la bâche du pont complètement arrachée. Le “Rhône” brisa ses ancres, ses tambours et ses roues dans le port d’Ouchy. A Genève de petits bateaux à quai, rompirent leurs amarres et s’empilèrent sous les arches des ponts. Toujours dans cette ville, le Journal de Genève commente “le miracle” d’une jeune fille évitant de justesse, alors qu’elle se trouvait à l’intérieur d’un magasin, un éclat d’ardoise venu se planter dans les boiseries. Il ajoute: “l’ardoise est conservée en souvenir de cette date et prendra place à côté d’un fragment de colonnette de la tour de 1 ‘église anglaise qui rappelle le dernier tremblement de terre. “
Le lendemain, un ressac de plus de 25 pieds agitait encore le lac. Des milliers de petits poissons gisaient morts sur les plages du côté de Lausanne projetés sur le rivage par la puissance des vagues déferlantes.On signala aussi sur les berges, le rejet d’algues proliférant en temps ordinaire dans la vase à plusieurs mètres de profondeur.
Toujours en bordure, le long des falaises de Vevey, la voie ferrée fut emportée sous les assauts du Léman et trois wagons d’un train engloutis sous les eaux. Aucun voyageur n’était dans ces voitures, par chance…
Puis la tempête s’éloigna vers le Nord de la Suisse en touchant Fribourg et Berne. Elle perdit de son intensité et peu à peu redevint une masse orageuse des plus classiques.
CONCLUSION:
Ainsi s’achevait le passage de cette “presque ordinaire” tempête. Le rythme de la vie rurale et artisanale allait reprendre son cours, cicatrisant les plaies ouvertes. D’autres épreuves suivraient, faisant oublier les précédentes, ou les prenant comme repères. Aucun véritable bilan ne fut jamais dressé. Le nombre réel des morts? La presse n’en paria plus. Il est vraisemblable que longtemps après, la liste continua de s’allonger…. Et les survivants, femmes et enfants désormais seuls? Nécessité oblige, ils rebâtirent un foyer avec d’autres pour que la misère ait moins de prise sur eux… Telle était la règle de survie, à cette époque. Nous l’avons oublié.
Un siècle plus tard, les sursauts climatiques demeurent d’actualité. Il frappent d’avantage la ceinture tropicale que les pays tempérés, le récent cyclone “Mitch” l’atteste. Les populations des régions aisées comme la Floride les affrontent beaucoup plus sereinement, les qualifiant tout au plus de gênantes, voir de paralysantes économiquement parlant. Celles des pays sous-développés les subissent toujours de la même façon, c’est à dire avec résignation, fatalité, démunis qu’ils sont devant tant de furie.
Cette inégalité accentue encore plus la précarité d’une tranche d’êtres humains en proie à des conditions économiques et sociales proches du tolérable.
Les progrès des sciences, par une meilleure connaissance des climats, par des moyens de détection et de prévision plus performants, vont sans doute , à l’avenir, en atténuer les effets. Jamais ils ne les feront disparaître. Il restera toujours, y compris dans les zones tempérées, ces anomalies, ces imprévus dérangeants pour l’homme du XXIème siècle qui caresse le secret espoir sinon de maîtriser, de canaliser les éléments célestes.
Auteur : un météorologue de St Yan à partir d’archives de journaux.
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