Neuf années de dédiabolisation. Et moi, et moi, et moi…
Les Français ont accueilli qui indifférents, qui goguenards, qui atterrés, les affligeants chiffres de participation aux élections régionales et départementales. Ils sont indéniablement choquants. Notre pays est une démocratie. Une démocratie sans votants n’en est plus une, car c’est alors une infime minorité de citoyens qui choisit pour tout le monde.
Nous avons connu dans la première moitié du 19ème siècle le suffrage censitaire qui accordait le droit de vote à une poignée d’électeurs suffisamment riches pour payer l’impôt. Il fut remplacé par le suffrage universel. Mais avec la désertion des urnes par une grande majorité d’électeurs, ce sont à nouveau des citoyens très minoritaires qui déterminent le sort du pays. Et c’est insupportable.
Ceci étant posé, l’enseignement le plus frappant de ce simulacre d’élection c’est bien le collapsus du Rassemblement national.
Nous eûmes la débâcle combinée de 2017, marquée par les 33% au deuxième tour de la présidentielle (malgré des sondages à 42% juste avant l’élection), et des huit malheureux députés élus à l’Assemblée Nationale (sur 577), alors que l’on en espérait 80. Il n’aura juste manqué qu’un zéro… Huit députés, chiffre inimaginable pour un parti dont la candidate a été finaliste à l’élection élyséenne. En tout cas une première dans l’histoire de la Vème République, et probablement de la République tout court. Premier parti d’opposition de fait, mais incapable de former un groupe parlementaire faute d’élus suffisants. La France Insoumise y est arrivée, elle.
Marine Le Pen en avait tiré la conclusion qu’il fallait « tout changer du sol au plafond » et avait promis de remettre le mouvement en ordre de marche pour le match retour de 2022.
Certes, les européennes de juin 2019 furent gagnées. Mais d’extrême-justesse devant un parti présidentiel qui aurait dû être essoré par la longue crise des « gilets jaunes ». D’ailleurs, la totalité des médias n’a pas parlé de victoire du Rassemblement national, se contentant de souligner une place d’ex æquo avec la liste Renaissance conduite par l’inepte LREM Nathalie Loiseau.
Avec moins de 24% des voix, le RN se trouvait à 10% en dessous de son partenaire italien La Lega de Matteo Salvini qui, contre toute attente, devenait la première force politique du groupe souverainiste au Parlement Européen avec 29 sièges contre 23 pour le RN et en prenait très logiquement la tête.
Neuf années de « dédiabolisation »
Suivirent les municipales. En 2011, la nouvelle présidente de ce qui était encore le Front National, avait fixé comme objectif central du parti, l’ancrage local. En 2014, premier test. Un peu plus de 1 500 conseillers municipaux élus sur plus de 500 000. Et la conquête de neuf villes dont la plus importante, Fréjus, compte environ 50 000 habitants. Modeste, mais il faut bien commencer quelque part.
En 2020, brutal retour sur terre. Le « premier parti de France » n’est en mesure de présenter que 411 listes pour les communes de plus de 1 000 habitants. La France en compte près de 10 000. Neuf années de « dédiabolisation ». Et pourtant une immense réticence à s’afficher au niveau local avec l’étiquette lepéniste, même renommée « Rassemblement ». Au final, les villes RN sont conservées et Perpignan est conquise. Mais le nombre de conseillers municipaux tombe à 827 pour les communes de plus de 1 000 habitants. Moins que ceux du PCF (1 426). Marine Le Pen pointait déjà l’abstention due à la crise sanitaire comme responsable de ce résultat médiocre. Soit. Mais alors comment expliquer que dans exactement le même contexte, le parti Europe-Ecologie-Les Verts fait la conquête de Lyon, Strasbourg, Poitiers, Tours, Bordeaux, Annecy, Besançon et conserve Grenoble (rien que cela !) ? Allié au PS, EELV gère également Paris, Marseille, Montpellier, Nantes, Nancy, Rennes. On peut bien sûr se gausser de leurs bourdes et dénoncer leurs dérives. Mais les résultats sont là. La droite, comme la gauche d’ailleurs, conserve quantité de bastions. Ils sont aux manettes ; le camp national, lui, fait des claquettes.
Comme il faut avoir des élus locaux pour avoir des sénateurs, le RN se retrouve avec un seul sénateur sur… 348, au terme des élections sénatoriales de fin septembre 2020. Un miracle dû à l’acharnement et à la combativité de Stéphane Ravier, promis à l’éviction du palais du Luxembourg après la perte de sa mairie du 7ème arrondissement.
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Le RN n’a donc qu’un seul et unique sénateur. Vous savez combien le PCF, grand brulé de la politique française, en compte ? Une quinzaine !
Ces municipales m’ont ouvert les yeux sur la gestion du Rassemblement national.
Poussé par quelques cadres du mouvement, je me suis déclaré prêt à porter les couleurs du RN pour la bataille de la capitale de la France. Ma notoriété médiatique avait pris de l’ampleur en raison des innombrables invitations dont je bénéficiais, mon nombre d’abonnés explosait sur les réseaux sociaux. Les militants parisiens me réclamaient.
Décision de la présidente du RN : ne présenter personne, soutenir un candidat externe inconnu et qui faisait autant envie qu’un sandwich au concombre dans une soirée de rugbymen. Résultat la plus monumentale raclée du RN à Paris depuis des lustres : 1.47% !
Nous voici donc arrivés à la dernière marche avant la présidentielle, les élections combinées régionales et départementales. Des sondages flatteurs, comme à chaque fois. Six régions gagnables, dont une presque garantie : PACA. Et patatras. Les électeurs ne se déplacent pas. Et tout particulièrement ceux du RN. Ils avaient, moyennant un petit effort, la possibilité de placer Marine le Pen en orbite haute pour la présidentielle ; la possibilité, comme disent les politologues, de créer une dynamique. « Nan ! On va à la pêche, on reste chez nous, on bricole, on jardine, on se balade. Mais on ne se déplace pas pour voter pour le RN ». Dingue.
En PACA Thierry Mariani s’est bien battu. Mais au final c’est une défaite sans appel.
Dans les Hauts-de-France, c’est l’effondrement avec Sébastien Chenu qui fait 24% au premier tour contre 40% en 2015. Et au deuxième tour, les résultats ne s’améliorent pas. Il avait déjà pris une veste monumentale aux municipales à Denain, où la maire socialiste a été réélue dès le premier tour. Qu’à cela ne tienne ! Il est investi tête de liste aux régionales.
En Ile-de-France, Marine le Pen avait décidé d’envoyer son « dauphin » bardé de son Bac ES pour affronter la « techno » ultra-compétente Valérie Pécresse. 13%, 5 points de moins que Wallerand de Saint-Just en 2015 au premier tour et moins de 11% au deuxième. Qui aurait cru possible de faire bien pire que le cruchon à qui le parti doit sa déliquescence à Paris ? Difficile, par ailleurs, de mettre ce résultat sur le dos du remplacement de peuple car l’abstention la plus forte a été précisément enregistrée dans les départements où la proportion d’immigrés est la plus forte, Seine Saint-Denis en tête.
En Auvergne-Rhône-Alpes, le score très honorable de 2015 (25%) est divisé par deux.
En Grand-Est, où Florian Philippot avait dépassé les 36% en 2015, le RN se retrouve à 28%.
En Occitanie, c’est le PS qui est arrivé en tête au premier tour, se payant le luxe d’augmenter son score de 16% à 40% alors que celui de Marine Le Pen chute de 9%. Le deuxième tour est un plébiscite pour la présidente socialiste.
La déconfiture est générale
Oh, bien sûr, la République en Marche a pris une « branlée » encore pire. Mais elle et son champion ou inversement avaient quand même réussi en 2017 à ravir l’Élysée et 308 sièges à l’Assemblée nationale. Pas mal pour un monsieur inconnu trois ans avant son élection et un parti créé en avril 2016. Il y une différence entre décrocher la médaille d’or et patauger ensuite, et patauger tout le temps.
Dimanche 27 juin, au soir du deuxième tour, le bilan du RN pour cette double élection territoriale est clair : ZÉRO + ZÉRO= ZERO. Car ce que nous a caché le buzz autour des régionales, c’est une bérézina pire encore. Le RN ne gagne AUCUN conseil départemental sur les plus de 100 que compte notre pays. En tête dans quelques cantons, il n’a été en mesure de remporter une majorité départementale nulle part. Effarant ! D’autant que cette collectivité est celle que le camp national privilégie et à juste titre car elle est à la fois proche des administrés et héritière de la construction historique de la République. Un petit incident pour l’anecdote. Savez-vous que notre pays a connu 20 élections législatives partielles depuis l’été 2017 ? Bilan pour le RN ? Devinez !
On se demande partout : mais pourquoi le peuple RN ne s’est pas déplacé ? Les leaders du parti racontent que leurs électeurs ne s’intéressent pas aux élections locales. Mais c’est faux. En 2015 le parti avait enregistré des gains majeurs grâce à une forte mobilisation ce qui avait permis au FN de s’implanter fortement dans les conseils régionaux et départementaux, créant ainsi une vraie dynamique pour 2017. En 2021, le RN va voir sa représentation locale régresser fortement ce qui va, par ailleurs, accroître ses difficultés financières.
Je connais le peuple français. Il est courageux. Il est dur à la tâche. Il n’hésitera jamais à prendre une heure ou deux pour aller voter un dimanche. Mais voter pour quoi ? Voter pour qui ? Pour un mouvement qui se « chiraquise »? Qui commence à dire que l’islamisation de masse n’est pas une régression ? Que la CEDH ce n’est pas un problème ? Que l’on va s’accommoder de l’UE sans faire d’histoires ?
Le RN a préféré faire le choix de la sécurité comme leitmotiv électoral. Il n’y a qu’un malheur : la sécurité n’est que marginalement dans la compétence des régions et des départements… Mais le comble est que la sécurité figurait malgré tout et d’après un sondage réalisé par l’institut Opinion Way quelques jours avant le scrutin régional, au premier rang des préoccupations des électeurs. Cela n’a pas suffit à les faire se déplacer pour le parti qui est supposé l’incarner le mieux.
Un second rôle éternel ?
Mais là n’est peut-être pas le plus grave. Ce peuple, il a besoin de chair et d’âme, de présence, du contact avec celle ou celui qui est censé(e) l’incarner. Moi président du RN, j’aurais arpenté la France en long en large et en travers, levé tôt, couché tard, parlé, écouté, discuté, bu un coup, blagué et compati avec cette France qui souffre et espère tant. Je l’ai tellement fait. Je n’aurais pas fait des apparitions éclairs, des visites d’une petite heure, souvent sur un marché, une conférence de presse vite torchée, un petit tour chez un agriculteur et zou on reprend vite le train pour Paris. Je ne me serais pas uniquement montré dans des bourgs ou des hameaux bien tranquilles où il n’y a pas de risque de face-à-face avec des adversaires qui vous chahutent et qu’il faut savoir affronter plutôt qu’éviter. Bon sang, la France c’est aussi les villes : 50% des Français vivent dans une commune de plus de 10 000 habitants !
Mais au-delà des choix de candidats, des thèmes et du type de campagne, il y a en politique, et tout particulièrement dans un mouvement populaire, l’incarnation. L’incarnation : tout est là. C’est un subtil mélange de charisme, de compétence, de sacrifices, de travail acharné et il faut le dire de chance. Et ça, ça ne s’invente pas. Pas plus que ça ne s’acquiert. On l’a ou on ne l’a pas. Pour réussir cette rencontre magique avec le peuple il faut savoir parler à ses tripes, à son cœur et à son cerveau. Chacun des présidents de la Vème ont eu, à des degrés divers, ce don. Même le bien mièvre François Hollande a eu en 2012 ce coup de génie de se poser en « ennemi de la finance », dans un contexte qui s’y prêtait parfaitement, tout en assénant cette redoutable anaphore « moi président » qui a enseveli Sarkozy lors de leur débat. Bref, il faut être « bon ». Mais pas seulement. Pour être la ou le meilleur, il faut s’entourer des meilleurs. Car c’est à leur contact que l’on s’élève… à condition de les écouter et de les lire. S’entourer de beaucoup de médiocres, qui ont le mérite d’être fidèles et flatteurs, pour se grandir est une erreur capitale. Car ce faisant, on cumule le manque d’émulation, de remise en cause et on n’inspire pas confiance à un peuple qui sait qu’un président est un chef d’orchestre.
Marine Le Pen a pris les rênes du parti il y a 10 ans. 10 ans après c’est un parti financièrement exsangue. Je lisais il y a quelques jours que LREM venait d’acheter un siège de 2.800 m2 dans Paris pour 35 millions d’euros. Contraste ! 10 ans après, la présidente du Rassemblement national n’a pas tout à fait tout raté. Mais elle n’a rien réussi vraiment. Elle a solidement installé le RN et elle-même sur la scène politique française en tant que figurant, second rôle et parfois tête d’affiche. Mais jamais comme producteur, scénariste, réalisateur et metteur en scène.
Elle a gagné la bataille de certaines idées. Mais n’a jamais convaincu les Français qu’elle et son équipe étaient capables de gouverner une région ou un simple département. « Vous n’avez jamais voulu me confier ne serait-ce que la Lozère. Mais je vous demande de me confier la France ». Voilà ce qui pourrait être le slogan de 2022. La présidente du RN a concédé vendredi dernier sur France Info qu’« il faudra récréer une dynamique » pour la présidentielle. Elle a une certaine habitude des montagnes russes. Mais cette fois-ci le chariot a-t-il encore assez de puissance pour remonter une énième pente ?
« Vous réglez vos comptes avec elle », va-t-on me reprocher. Pas du tout. Je ne règle pas des comptes. Je FAIS les comptes.Qui suis-je pour me le permettre ? En quittant le RN, à regrets, j’ai fondé avec une petite équipe de fidèles ultra-compétents, un think tank qui en sept mois a réuni près de 2000 adhérents, et une jolie brochette d’experts qui m’apportent idées et propositions. Les comptes de mes réseaux sociaux connaissent une croissance exponentielle et il n’est pas de jour où dans les rues, partout en France, des femmes et des hommes de tous âges, de toutes origines et de toutes conditions me saluent, m’encouragent et me remercient. Alors oui, à mon modeste niveau, je crois pouvoir donner un avis sur une personnalité qui a reçue en héritage une organisation solide et a bénéficié du sens de l’histoire.
J’ai beaucoup rencontré à travers le pays ces militants, adhérents électeurs du RN qui se battent pour que la France reste la France. Et franchement, ils méritent mieux. En fait c’est toute la France qui mérite mieux que ce qu’est le Rassemblement national aujourd’hui. Ce mouvement, allié à d’autres, porte en lui l’espoir d’un avenir meilleur. Mais encore faut-il qu’il soit dirigé par les meilleurs. Que faire alors ? Encore un peu de patience. On en reparle très bientôt.