29 avril 2024 / Association des climato-réalistes
Par Rémy Prud’homme
Dans les pays développés, la productivité, ou du moins la productivité du travail (le PIB divisé par la population au travail), augmente peu ou pas depuis une dizaine d’années. On a considéré les pays de l’OCDE, en éliminant à la fois les pays d’Amérique latine (Colombie, Chili) et les pays dont la population est inférieure à 9 millions d’habitants. Reste une vingtaine de pays, principalement mais non exclusivement européens. Dans ces pays, au cours de la période 2015-2021, selon les chiffres de la Banque Mondiale, l’augmentation de la productivité du travail a été en moyenne de 0,6% par an. Elle n’a été supérieure à 1,5% que dans 4 pays (Pologne, Corée, Tchéquie, Etats-Unis). Elle a été négative dans quatre pays (Belgique, Japon, Grèce, Espagne). Avec une stagnation à 0%, la France est dans le bas du tableau, proche du Royaume-Uni (0,1%), de l’Italie (0,2%) et des Pays-Bas (0,2%). C’est une évolution très inquiétante, car elle signifie une quasi-stagnation du niveau de vie dans ces pays, dans nos pays. (Notons au passage que la présentation habituelle des résultats économiques en termes de PIB a pour effet, sinon pour objet, d’escamoter cette stagnation)
Les causes de cette panne de croissance de la productivité sont mal connues. On mentionne : l’épidémie de covid, la désindustrialisation, le télétravail, l’insuffisance de capital, les prix de l’énergie, l’augmentation de l’apprentissage (dans le cas de la France), ainsi que les « politiques climatiques ». Cette note essaye de préciser, et de chiffrer, l’impact de ce dernier facteur. Le verdissement de nos économies entraîne-t-il une diminution de leur productivité ?
A cette fin, on a comparé pour les 19 pays développés retenus l’intensité des politiques vertes et la variation de la productivité du travail durant la période récente (2015-2021). Il est facile de trouver des données pour l’évolution de la productivité du travail : on a pris ceux que publie la Banque Mondiale. Il est plus difficile de trouver des indicateurs de l’intensité des politiques vertes. Plusieurs institutions (la NASA, Germanwatch, le MIT) proposent des indices qui combinent différentes grandeurs. On a préféré un concept plus simple et plus clair, et cependant important et significatif : le taux de décarbonation des pays, défini comme la variation des rejets de CO2 rapportée aux rejets de CO2 de 2015. Ce taux varie de +6% en Pologne à -26% au Portugal.
Le tableau 1 ci-après montre la relation entre décarbonation et productivité. Elle est assez claire : plus la décarbonation est forte, et plus les progrès de la productivité sont faibles. L’équation de la droite de régression (qui résume cette relation) est :
Productivité = 1,08-0,050*décarbonation
Avec productivité = variation annuelle moyenne en % de la productivité du travail durant 2015-21 ; et décarbonation = variation des rejets de CO2 entre 2015 et 2021, en %. La prise en compte de pays en développement comme la Chine ou l’Inde, où la croissance de la productivité est grande, et la décarbonation négative, « améliorerait » grandement la corrélation ; mais on a considéré que ces pays étaient par trop différents de nos pays développés, et choisi d’ignorer ces pays.
Cette relation est-elle causale ? Il y a de bonnes raisons de le penser. La lutte contre les rejets de CO2 est la principale des mesures du « combat pour le climat », qui est lui-même l’une des priorités de la plupart des pays développés. Ce combat implique en effet des surtaxations, des subventions, des interdictions, et des obligations, qui toutes pèsent sur les coûts des entreprises et des ménages, et qui les conduisent à choisir des biens ou des technologies plus vertueux du point de vue environnemental mais plus coûteux du point de vue économique. La vertu ne paye pas.
Graphique 1 – Engagement climatique et productivité, 2015-2021, 19 pays développés
Certes, la corrélation n’est pas parfaite. Le coefficient de détermination n’est pas très élevé (R2=0,19). Il y a des pays, comme par exemple les Etats-Unis, qui ont à la fois beaucoup décarboné (23%) et sensiblement augmenté leur productivité (1,5% par an). Cette imperfection n’est pas surprenante. La lutte contre le climat ne peut évidemment pas être le seul facteur de la productivité. Mais la relation est robuste, et reflète une réalité ; de plus, peut être utilisée pour chiffrer le coût de l’amélioration du climat, au cours des années passées, et au cours des années à venir.
Un simple coup d’œil sur le graphique, ou une manipulation simple de l’équation de régression, suggèrent en effet qu’au cours de la période considérée une décarbonation de 10 points de pourcentage a entrainé (en moyenne) une perte annuelle de productivité, et donc de production, de 0,6 points de pourcentage. Faisons l’hypothèse que ce rapport restera constant dans les décennies futures. Cette hypothèse est raisonnable, et même prudente ; on sait en effet qu’en matière environnementale le coût marginal de dépollution augmente : faible (parfois même négatif) initialement, il augmente et devient très élevé, voire infini, lorsqu’on approche de 100%.
Appliquons ce rapport au cas de la France. La planification écologique officielle prescrit que nos émissions de CO2 doivent diminuer de 32% entre 2021 et 2030. La productivité moyenne annuelle devrait donc diminuer de 1,9 points. Cette diminution est cumulative. Entre 2021 et 2030 elle sera de 14%. Le PIB de la France, qui était de 2500 milliards d’euros en 2021 devrait donc diminuer de 14%, c’est-à-dire de 350 milliards en 2030. Cette évaluation s’entend toutes choses égales par ailleurs, et en particulier à population, ou plus exactement à nombre de travailleurs, constants.
La mise en œuvre de la politique de décarbonation officielle, si elle était mise en œuvre, réduirait le PIB de la France en 2030 de 350 milliards, ce qui est une évaluation du coût de cette politique pour la seule année 2030[1]. On n’ose pas calculer le coût du 100% de décarbonation décidé officiellement pour 2050[2]. Bien entendu, ces chiffres sont à prendre avec précaution. Ils reposent sur une équation qui peut avoir été influencée par des circonstances exceptionnelles. Mais ce chiffre de 350 milliards d’euros en 2030 fournit un ordre de grandeur raisonnable.
Ce qui est assuré c’est (i) que les politiques de verdissement officielles ont un impact négatif important sur la productivité des économies développées, et (ii) que le coût de cet impact en 2030 se chiffre en centaines de milliards dans un pays comme la France.
[1] Le hasard (ou la réalité) font que ce chiffre est très proche du coût du rêve écologique en France estimé par l’auteur, avec une méthodologie totalement différente, dans un livre récent intitulé : Transition écologique : le coût des rêves.
[2] Il dépasse 1000 milliards d’euros pour la seule année 2050.Partager